Pourquoi le fait de tomber amoureux donne-t-il des couleurs à la vie?
Comment l’amour arrive-t-il à modifier notre façon de sentir et de percevoir?
Comment expliquer que “l’amour naissant”, pour reprendre l’expression de Francesco Alberoni[1], embrouille nos idées, exalte nos émotions et libère dans notre cerveau des substances chimiques euphorisantes?
Peu de personnes échappent aux tourments de l’amour.
Ceci paraît d’autant plus évident à une époque où la mise en couple se fait plus tardivement et où l’on vit plus vieux, ce qui multiplie pour beaucoup le nombre de conquêtes et donc le nombre de possibilités de se heurter au paradoxe de la passion…
1. L’état naissant, c’est quoi ?
“Les conditions favorables”
– Etre en état de « besoin » (absence de relation ou relation insatisfaisante)
– Souffrir un minimum de cet état
– Entrer en contact avec une personne qui semble capable de répondre à cette envie
Selon l’intensité de notre besoin, nous serons plus ou moins regardants. Les personnes qui souffrent particulièrement de solitude ont parfois tendance à trop de concessions pour se faire aimer et ne pas rester seules.
Certains tombent amoureux souvent, d’autres une seule fois; certains, très vite, d’autres, après une longue approche.
Que se passe-t-il si cette rencontre a lieu ?
Une transformation rapide et spectaculaire, des espoirs fous, des désirs intenses projetés sur l’élu de notre cœur, une immense joie de vivre, une sensation d’euphorie et d’extase.
Notre avidité à satisfaire nos besoins les plus profonds (amour, sollicitude et sécurité affective, …) explique que nous puissions tomber amoureux de personnes que nous connaissons à peine ou qui ne nous correspondent pas.
La passion embrouille tellement nos circuits reliant raison-émotion qu’il est facile parfois de confondre une escapade passagère avec l’amour véritable.
Au début, les deux sentiments peuvent nous paraître semblables: feu de paille ou grand amour?
Nous pouvons ressentir du vertige et de l’égarement; une sorte de période de délire où notre façon habituelle de fonctionner se trouve bouleversée. Cette perte de contrôle engendre des sensations à la fois délicieuses et effrayantes.
Désirer être amoureux ou tomber amoureux
J’insiste donc sur le fait qu’il y a une différence entre désirer être amoureux et tomber amoureux. Certains le désirent et cherchent d’aventures en aventures celui ou celle à aimer et qui les aimera, en vain. A chaque fois, des éclairs, des moments fugaces d’émotions et de désirs, … Rien de plus.
Découragés, ils accusent la malchance! Pourtant, si par hasard l’élu se présentait, ils lui trouveraient toujours quelque chose car ils ne sont pas disposés à être réellement amoureux.
Il semblerait d’après Alberoni que toute personne satisfaite de sa vie, même partiellement, est moins sujette à connaître cet état d’extase.
L’envie de changement doit être grande; il doit y avoir une réelle motivation à rompre avec le passé et avec ce qui est.
Le “symptôme” principal de la prédisposition amoureuse est un sentiment profond de vide et non pas le désir de tomber amoureux. Cette surcharge dépressive nous donne la propension à affronter une situation différente et à prendre des risques. Le bonheur des autres couples nous semble tellement douloureux à voir.
“Les symptômes de la maladie d’amour”
- Notons tout d’abord que du point de vue physiologique, l’état amoureux libère dans le cerveau des substances chimiques d’où la sensation d’être stimulé et de vivre un plaisir intense, un état euphorique. C’est d’ailleurs pour rechercher cet état que bon nombre de personnes renouvellent leurs relations.
- L’état naissant donne l’impression de disposer d’une énergie sans limites; anticiper la présence de l’autre nous fait trembler, nous avons les mains moites…
Combien de fois n’allons-nous pas être à l’affût des moindres faits et gestes, des moindres dires de l’autre, comme un moyen de surveiller le baromètre de ses sentiments envers nous ?
Peu de détails nous échappent! - L’amour naissant est quelque chose qui se manifeste et s’impose à nous comme l’objet total du désir. L’effet du renouveau ira jusqu’à réorganiser notre passé, nos relations affectives, notre histoire.
Non pas que l’ancien puisse être nié ou caché mais simplement dévalorisé.
Un peu comme si le passé devenait préhistorique et que la vraie vie commençait maintenant. - La joie d’un nouvel amour peut nous rendre plus aimable et meilleur (par rapport aux parents, un(e) ex…). Pour conquérir l’être aimé, nous pouvons aller jusqu’à nous identifier à ses préoccupations et ses centres d’intérêt. Nous voilà devenus des caméléons avec une facilité déconcertante. Inconsciemment, nous sommes capables d’adopter la coloration de l’autre pour lui prouver que nous sommes en mesure de combler la majeure partie de ses besoins (on se met à ranger, à être de bonne humeur, à faire preuve d’humour, …). La passion ne tient pas compte des détails négatifs. Elle tend même à les trouver charmants. Si, en plus, on voit l’être aimé s’abandonner à l’amour, ce moment devient éternel et deviendra un souvenir capable de nous aider dans la difficulté ou la douleur. La passion amoureuse est ainsi faite d’instants d’éternité. S’il y a rupture, ces mêmes moments inoubliables seront source de douleur intense.
- Au début, on s’abandonne à l’autre, on n’est pas jaloux : l’autre ne peut être que bon. L’amour rime avec authenticité, transparence, vérité. Chacun confesse son passé, chacun a le pouvoir d’absoudre l’autre. Les amants s’interrogent continuellement sur ce à quoi ils sont en train de penser. La transparence totale est exigée. L’amoureux aime jusqu’aux blessures de l’être aimé… Seul l’objet de notre amour a de la valeur, tout le reste en est dépourvu. L’amour naissant est une tentative de refaire le monde. Renaissance et compréhension: tels sont les mots-clés.
- L’état naissant vise également l’unicité. Nous voulons être aimés en tant qu’être unique et extraordinaire.
L’état amoureux (à ne pas confondre avec l’amour) est par essence monogame. Nous exigeons l’exclusivité. Sentir que l’autre nous apprécie permet de nous apprécier nous-mêmes.
- Le départ est fait de fusion: les deux sujets veulent ensemble ce qui est important pour chacun d’entre eux. Chacun se transforme pour plaire à l’autre sans contrainte, grâce à un décodage incessant. Tant que le don est gratuit, chacun donne selon ses exigences et chacun reçoit selon ses besoins. La joie de l’autre est irremplaçable, on n’attend pas la réciprocité. Faire quelque chose pour l’être aimé, c’est le faire pour nous-même, pour notre bonheur. Quand la comptabilité affective s’installe, on n’est plus dans l’état naissant!
- Une série d’éléments deviennent des signifiants de quelque chose d’étroitement lié à l’être aimé et à la passion. Une plus-value est aussi donnée aux choses: des lieux, une musique, des objets deviennent autant de symboles sacrés de l’être aimé.
- L’amour naissant libère notre désir et le met au centre de toutes choses. Nous voici dans une sphère supérieure où l’on gagne tout, où l’on perd tout. Notre vie oscille entre tout ou rien: comme si l’état naissant nous apportait l’impensable, le royaume, le bonheur, … Mais on peut perdre ce royaume en une seule bataille. L’état amoureux nous ballade entre extase et tourment, entre paradis et enfer.
- Fou amoureux, il nous est difficile de pouvoir atteindre la tranquillité et la sérénité d’où la nécessité pour certains d’essayer de domestiquer l’amour, de le contrôler, de rendre immédiatement la relation plus terre à terre: maîtriser pour arrêter l’extase et ses chamboulements. Il est évident que l’amour naissant réveille peurs, anxiété, mécanismes de défense, d’où le réflexe pour certains de transformer l’animal sauvage que l’autre représente à leurs yeux en un animal domestique.
2. Si le déséquilibre s’installe…
L’amour naissant veut la diversité et l’extraordinaire, il est fait d’enthousiasme. Avec le temps (plus ou moins long selon les cas), différents cas de figure se dessinent:
- Le choix est le bon: l’autre entre aussi dans les conditions pour être amoureux. Un amour réciproque et plus serein s’installe…
- L’autre a seulement un désir d’amour, une attirance sexuelle, intellectuelle. Il peut néanmoins se croire amoureux et être flatté mais il n’y a pas de changement radical intérieur. Il ne fait qu’accepter et partager les symboles de l’autre. Cette situation aboutira soit au renoncement, au désamour; elle peut aussi déboucher sur une union “déséquilibrée”, voire même “terroriste”.
Si certaines personnes cessent facilement d’être amoureuses ou se remettent très vite, c’est qu’en fait, elles ne l’ont jamais vraiment été, même si elles ont utilisé le langage de la passion pendant la relation.
Donc, “trop aimer”, ce n’est pas tomber amoureux trop souvent, multiplier le nombre des conquêtes ou éprouver un amour serein et profond. « Trop aimer », c’est quand nous devenons obsédé par l’autre et que cette idée fixe va jusqu’à s’emparer de nos émotions, mettre en danger notre équilibre, notre santé et que malgré tout cela, nous sommes incapables de rompre. Nous nous servons de l’autre pour échapper à notre mal-être, à notre vide, à notre peur où à notre colère. Une relation dominant-dépendant peut ainsi s’installer insidieusement.
Il est un fait évident que si notre vie a été jalonnée de drames non résolus, notre seuil de tolérance à la douleur a fortement augmenté. Tout se passe comme si nous avions besoin d’une bonne dose d’incertitude, de douleur, de déception et de combat pour nous sentir en vie! Plus nous sommes marqués par des familles dysfonctionnelles, plus nous aurons tendance à être fascinés par les fauteurs de troubles et plus nous aurons un goût prononcé pour les sensations fortes. Ainsi, le partenaire violent, indifférent, marginal devient-il notre drogue au même titre que l’alcool ou que d’autres substances.
Addiction dont on n’ose pas s’éloigner. Il est assez intéressant de voir avec quelle complémentarité deux inconscients se rencontrent, sorte d’échange d’informations d’ordre subliminal.
Il semblerait que plus nous avons du mal à mettre un point final à une relation qui nous est toxique, plus celle-ci mobilise des éléments pénibles liés à des expériences infantiles non résolues. Comme si nous tentions à travers ce type de lien, à travers la répétition, de vaincre les frustrations, peurs, colères et souffrances connues durant l’enfance. Mettre un terme à cette relation impossible équivaudrait à admettre qu’on n’a pas su relever le défi de réparer ce qui avait échoué avec nos parents.
3. Se croire amoureux mais ne pas l’être!
Différents éléments peuvent intervenir:
- L’attrait est lié au pouvoir ou au succès de l’autre.
- L’appât du gain.
- L’attirance est purement érotique.
- Passer des heures heureuses avec l’autre est suffisamment agréable.
- Le désir vise une personne admirée par beaucoup.
- La possibilité d’être préféré ce qui génère une sensation d’ivresse.
- Une déception que l’on tente d’oublier.
- Un sentiment d’ennui, une envie d’échapper à la banalité de la vie quotidienne.
- Un sentiment de vengeance.
4. Oui, la fraîcheur de l’amour naissant peut durer!
La durée est en effet possible si:
- Les partenaires mènent ensemble une vie dynamique et intéressante.
- Ils affrontent ensemble les problèmes extérieurs.
- Ils oeuvrent côte à côte pour un projet commun.
- Ils alimentent leur vie d’intérêts nouveaux.
- Ils communiquent clairement leurs besoins et leurs désirs.
Rien ne détruit plus l’amour naissant que la répétition et l’identique, « l’obligation » de revivre certaines expériences, retrouver les mêmes obstacles, … Bref, dans ce cas, au lieu de réinventer le passé et de construire le présent et le futur, ce sont les anciens mécanismes qui réapparaissent.
Le mot de la fin…
- Le désir d’être amoureux, c’est vouloir faire la fête !
- Etre amoureux, c’est faire la révolution !
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Florence,
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